Le GR20 en 3 jours, de Calenzana à Conca
le 29, 30 et 31 juillet 2010
I
Auteur : Vincent, août 2010
I
Relier Calenzana à Conca en 3 jours, selon le découpage suivant :
Jour 1 -----Calenzana-------Col de Vergio
Jour 2 -----Col de Vergio-------Col de Verde
Jour 3 -----Col de Verde-------Conca
Dénivelée cumulée : 14 000 mètres en 3 jours Départ de nuit de Calenzana
__ |
--
|
Jour 1 Calenzana -Col de Vergio Durée : 14 heures (départ 3h) Dénivelée : +4900 m -3700 m
Jour 2 Col de Vergio - Col de Verde Durée : 18 heures (départ 3h) Dénivelée : +4700 m -4800 m
Jour 3 Col de Verde - Conca Durée : 17 heures (départ 3h) Dénivelée : +3800 m -4900 m
|
----------- |
Transport mercredi 28/07/2010
|
--------- |
Transport dimanche 01/08/2010
|
Le GR20 nord confirme la réputation de trek parmi les plus difficiles : hauts cols, immenses pierriers, dalles rocheuses, couloirs d'éboulis, succession de pieds-mains. Mon premier jour est anthologique, avec un passage au refuge d'Ortu di u Piabbu à la frontale et la dernière ascension vers le refuge Ciuttulu di i Mori négociée dans le dur. Le tronçon mythique du cirque de la solitude a été un passage clé pour tester mon mental. J'ai alors le sentiment que rien ne peut m'arrêter, je n'accuse pas de retard et me préserver devient mon plan de bataille. J'atteins le col de Vergio à 17h, ce qui me laisse une phase confortable de récupération. La mécanique a tenu bon, aucun souci de tendon, mais le lendemain s'annonce redoutable, avec pluie et orages. Départ nuit noire, le ciel est étoilé, mais le vent et les flashs lumineux annoncent le pire, ce qui se vérifie dès le col de San Pedru où le brouillard engloutit le faisceau de ma lampe frontale. La peur de me perdre en pleine montagne se mêle à l'atmosphère bout du monde. Le vague replat du lac de Nino me libère du brouillard, mais là s'installe un décor des plus effrayants : les sommets qui m'entourent disparaissent sous un plafond opaque, des éclairs rougeâtres explosent. La montagne entière résonne, la pierre tremble, la température devient glaciale. Miracle ou pas, j'échappe en partie aux gouttes et l'ascension de la brèche de Capitellu marquera l'arrivée du petit jour. Mon passage à Pietra Piana et l'Onda se fera sous une chaleur caniculaire ; s'en suit l'interminable descente vers Vizzanova, les quadriceps soumis à de sévères contraintes. C'est le retour à la civilisation et le coup de blues au contact des promeneurs. Ici s'achève la partie Nord du GR20. Deux étapes me séparent alors du col de Verde.
Le GR20 sud se révélera dans son ensemble moins escarpé, aux dénivellations moins redoutables. L'ascension du col de Palmente s'effectue sous l'orage et la grêle, au fil d'un sentier transformé en petit torrent boueux. Ma veste en polyester capitule rapidement, tout comme le couvre-sac. Je grelotte. Une eau froide jusqu'aux chevilles est l'opportunité d'apaiser mon tassement de la voute plantaire mais l'apparition de larges ampoules sous une peau fripée par l'humidité sera le revers de la médaille. Le moral est toujours bon, même euphorique car Vizzavona était un cap important du parcours et j’ai alors la certitude que, sauf blessure, j’irai jusqu’au bout. Changement de chaussettes au refuge d'E Capanelle sous le regard médusé des randonneurs, puis grand moment de solitude pour rejoindre le col de Verde. La douleur aux pieds s'intensifie d'heure en heure et plombe ma progression. Cela fait 18 heures que je crapahute dans la rocaille. Le col de Verde et son générateur bruyant apparaissent enfin dans l'ombre du crépuscule. L'accueil est chaleureux, le refuge est vide. Repas, douche, chirurgie orthopédique, état des lieux du bric à brac de mon sac à dos inondé, 3 heures de sommeil, puis j'arbore ma frontale pour l'ascension de Punta di a Cappella de nuit. La durée ridicule de cette récupération me fait douter de l'intérêt de m'être arrêté au refuge. Heureusement, mon mal de pied s'est atténué et se stabilise. Je passe en mode raplapla au cours de la longue et usante descente vers le col de Laparo ; ma lecture du terrain demeure intacte. La machine repart à l'amorce de l'arête faîtière de Monda, ludique. J'attaque ensuite l'ascension de l'illustre Mont Incudine à un rythme soutenu, puis c'est l'effondrement au basculement vers le refuge d'Asinau. Physique, l'effondrement. Pire, c'est un désastre. L'envie de me battre a glissé, mes pensées sont négatives. Je suis en coup de fringale et je progresse difficilement jusqu'au contrefort des Aiguilles de Bavella. S'en suit une résurrection inattendue. Je ne sais pas si les jambes avaient lâché, ou si la tête en avait décidé ainsi, mais pour la première fois je décide de ne plus être à l’économie, je suis en mode course jusqu'au refuge de Parili, dernier refuge avant Conca. J'accuse tout de même le coup mais le moral est d'acier, je finirai en rampant s’il le faut. J'atteins avec rage et une certaine impatience la porte de sortie, la mythique brèche granitique du col d'Usciolu, mais sans plus d’émotion que cela car j'ai en fait l’impression d’avoir réussi mon défi depuis Vizzanova et la fin de la partie Nord du GR. Au fond de moi, j'avais gardé un optimisme à toute épreuve.
Le profil des 3 jours
Jour 1------------- ------Jour 2------------ --- -- Jour 3
-------------- |
matin | midi - | après midi | soirée | - | |
Jeudi | ||||||
-- | Vendredi | |||||
Samedi |
-
--
cliquez ici>> Photo taille 100% << cliquez ici
|
-------------
------------Franchissement d'une barre rocheuse
|
-
Liste des vêtements :
1 short Umbro
1 short de bain Décath
1 T shirt Dri-Fit Nike
1 sous vêtement
1 T shirt aéré sans manche
2 boxers
1 maillot manches longues cycliste Briko
1 maillot cycliste EVBB
1 paire de lunettes de soleil Okay
1 étui tissu pour lunettes
1 casquette avec protège nuque (mouchoir + pinces à nourrice)
1 bandana
2 paires de chaussettes MONNET type trail
1 paire de chaussettes MONNET double peaux
1 paire de chaussures SALOMON XA PRO 3D ULTRA
1 imitation K-way
1 protège pluie polyester cycliste
1 montre
Liste des accessoires :
1 sac à dos MILLET
1 couvre-sac imperméable
1 poche à eau 2L Décath
1 frontale 4LEDs PETZL
3 piles de rechange pour frontale
1.5kg de barres céréales Carrefour
1 tube de lait concentré
1 crème solaire
1 serviette microfibre
1 rouleau sparadrap micropore
2 pansements anti-ampoule Mercurochrome
1 mini savon type hôtel
3 gélules charbon de Belloc
6 sachets Aspégic 500mg
3 étuis mouchoirs
1 téléphone portable
3 bouteilles de soda coupées (containers)
10 pinces à nourrice
1 paire de boules Quies
1 stylo à bille
1 mini fourchette pliable
Photocopies cartes étapes GR20 + renseignements divers (téléphones gites,...)
Passeport, carte bleue, argent liquide (100€), 2 chèques, billets d'avion
2 sachets hermétiques (piles, papiers,...)
1 grand sac plastique (vêtements)
1 petit sac plastique (déchets)
Poids du sac à dos :
3.8kg vêtements & accessoires
+ 1kg d'eau en moyenne
+ 1.5kg barres céréale (en départ) ; 400g (à l'arrivée)
= 6kg (max) / 4.8kg (min)-
× Les blessures qui ne se refermeront jamais :
La liste est terrible :
• Chaussures SALOMON : semelles massacrées
• Chaussettes MONNET trouées au talon et sur le côté externe
• Boxer déchiré à l'entrejambe
× Les blessures éphémères mais cruelles :
Martellement, macération, échauffement, les pieds ont été soumis à rude épreuve. Par ordre de souffrance :
• Ampoule généralisée, douleur intense de la peau fripée par l'humidité (orage)
• Hématome au niveau de l'articulation des métatarses (zone d'appui), douleur lors du déroulement du pied
• Ampoule éclatée aux deux orteils, friction entre orteils, douleur vive et intermittente, cf photo noir&blanc
• Tassement des chairs, douleur lors du déroulement du pied
• Déformation de l'épiderme après froissement de la peau par l'humidité, picotements ou insensibilité
• Brûlure au premier degré causée par friction avec la chaussure
× Les traumatismes :
Durant cette course à travers la montagne, vécue comme une chasse à l'homme, l'organisme est tiré dans ses derniers retranchements. Dans des instants difficiles et d'impatience, j'ai été frappé d'hallucinations : à plusieurs reprises, j'ai cru deviner le toit d'un refuge derrière des empilements rocheux, j'ai entendu des gens chuchoter, ou m'appeler Vincent, Vincent. Je devenais complètement schizophrène.
Mais ceci est sans comparaison face au tronçon qui relie le col de Vergio au refuge de Manganu. Le brouillard puis l'éclatement de toute part de points orageux, dans une nuit noire, alors que je me rendais compte que mon faux K-way et ma frontale seraient d'un faible secours face à la pluie, au froid soudain et à la nuit remplie de brouillard, est digne d'annales. Pour l'anecdote, les 3 jours de congé utilisés pour ce trail m'avaient été accordés pour récupération.
-
Alimentation et eau : Par jour : ~15 barres céréales + 1 sandwich de charcuterie corse + 1 repas le soir au refuge du Vergio. Ravitaillement en eau à chaque passage de refuge. Les descentes à forte dénivellation ont été négociées le camelbak vide afin de décharger les genoux. Aucun régime particulier avant le départ.
Effort, le plan de bataille : J'ai cherché à me préserver, ne pas flinguer les articulations ou les tendons, particulièrement en descente. Ma progression alternait rythme d'endurance et effort soutenu pour ne pas subir une monotonie et un manque de punch.
Nuits : Chaque jour départ 3 heures du matin à la frontale jusqu'au petit jour vers 5h40. Pas de souci de balisage, malgré quelles hésitations et détours en escalade lors du passage de crêtes après le refuge de Prati. L'ascension depuis Calenzana jusqu'au refuge d'Ortu di u Piobbu de nuit, +1500m de dénivelée, fut déconcertante, irréelle. Pas d'arrivée de nuit, 21h15.
Pieds : Changement de chaussette deux fois par jour, de préférence au premier tiers d'une longue descente pour marquer la transition montée/descente. Aucune crème anti-frottement ou autres traitements (citron,...). Troisième jour, je me suis abandonné dans l'eau glaciale d'un ruisseau pour me soulager de l'hématome sous les pieds.
L'humidité : Ma stratégie contre l'orage, le short de bain ! Un look vacancier qui n'a pas échappé aux gardiens du refuge du col de Verde. Par contre, zéro pointé pour la contrefaçon K-way et ma veste en polyester qui s'est inondée en l'espace de vingt minutes. Idem pour le couvre sac à dos.
Le froid : Rien, si ce n'est un maillot cycliste mi-saison. Seule bonne idée : mon bandana. A défaut d'un sac de couchage, j'ai du réquisitionner les deux seuls couvres matelas en tissu du refuge du col de Verde pour me confectionner un semblant de drap. J'ai dormi tremblotant, le nez plein.
La chaleur : Un sous vêtement aéré sans manche pour favoriser la ventilation, une crème solaire et un grand mouchoir fixé derrière ma casquette. J'ai utilisé des pinces à nourrice pour sécher mon linge sur le sac à doc, notamment les chaussettes.
Vue sur la suite des hostilités depuis Bocca di Pisciaghja
-
Mon entrainement s'est axé sur un travail spécifique en côte, complété d'un renforcement articulaire/musculaire. La région parisienne est pauvre en relief, dénuée de terrain pierreux. Aussi, une préparation physique et technique à l'Ultra Trail de montagne tel que le GR20 relève du kamikaze. Mes séances se déroulent majoritairement de nuit à la frontale, pour un volume compris entre 4 et 5 fois par semaine.
La préparation des 25 Bosses de Fontainebleau, second défi 2010, s'est basée sur le même mode d'entrainement, avec toutefois un volume et une intensité rehaussés (5 à 8 séances par semaine sur 2 mois, travail en vélocité ou footing, gestion par sur-compensation).
• Entraînement n°1: cap en forêt, 1h - 1h20, sur sentiers (terrain accidenté: racines, roches, sable, dévers) en profil escarpé cumulant +/-300m 500m: en intermittence et fractionné, avec enchaînement montée/descente (circuits près de chez moi : forêt de Verrières-le-Buisson), fractionné sur terrain bicross.
• Entraînement dans escaliers (montée 2 par 2, alternance 10''/10'' course 1 par 1 et marche rapide) à Montmartre Basilique du Sacré Coeur (funiculaires et rue Maurice Utrillo), ou vélo elliptique (en salle de musculation) si inflammation du psoas-iliaque.
• Circuit des 25 Bosses de Fontainebleau (pour le pieds-mains et la technique en descente).
• Entraînement VTT (circuit Meudon) et vélo route (mon circuit référence), et piscine.
• Renforcement des chevilles et assouplissement des tendons d'Achille (avec un coussin-ballon).
• Etirement petit et moyen fessier (efficace pour prévenir les problèmes du TFL tendinite-fascia-lata).
• Bilan de mes blessures janvier-decembre 2010: ici
Mon GR20 en 5 jours s'est déroulé du 29 mai au 2 juin 2010, selon deux objectifs :
• Reconnaissance du parcours : évaluation des difficultés, logistique, repérage des passages de nuit.
• Préparation spécifique : bilan de mon niveau et lacunes, mise en conditions des tendons et des pieds.
La tentative en 3 jours était planifiée un mois après cette préparation, mais un planning professionnel chargé et un problème aux genoux en ont décidé autrement.
Jour 1 : -- Calenzana - Asco
Jour 2 : -- Asco - Manganu
Jour 3 : -- Manganu - Vizzavona
Jour 4 : -- Vizzavona - Usciolu
Jour 5 : -- Usciolu - Conca
L'enneigement tardif de 2010 m'a offert un GR20 époustouflant, inattendu : cascades omniprésentes, parcours 100% dans la neige au dessus d'une altitude de 1900 mètres dans la partie Nord, quelques névés dans la partie Sud. La fonte des neiges a créé des ponts ou des crevasses dans lesquelles je tombe jusqu'aux épaules à plusieurs reprises. J'apprends à détecter ces pièges, c'est alors un pur bonheur que de crapahuter dans ces conditions, malgré l'ascension de la brèche de Capitellu durant laquelle je me perds à cause du brouillard et d'un crachin qui a effacé le tracé ouvert dans la neige par les guides de montagne. Le balisage était invisible, enfuit sous la neige. Puis finalement, l'épisode catastrophe, celui qui s'insinue dans tous mes projets, le petit plus : la ligne de crête entre Pietra Piana et Punta Muratellu que j'ai arpenté sous un vent violent chargé en grésil, combiné à une chute impensable de la température, en short et sans vêtement chaud... je serai le seul à relier l'étape ce jour là, comme pour l'étape du Cirque de la Solitude.
Col du Muzzella (Pietra Piana), vue sur le lac de Rinoso
Photos paysages: extraites de www.trekearth.com